samedi, janvier 14, 2006

Teenage wasteland

J'ai envie d'habiter à Londres.
De me réveiller tous les matins dans une petite maison clonée à tant d'autres et qu'on essaierait tant bien que mal de rendre unique avec la couleur de notre moquette. D'achever d'une main encore endormie un radio-réveil qui me donnerait les températures à Liverpool. De descendre et de trouver cette immense table et toutes ces choses que j'en aurais assez de manger parce que je les mangerais depuis que je su
is née, ce beurre de cacahuète qui me lasserait autant que la confiture et les céréales dont les couleurs chimiques ne me feraient pas plus d'effet que ça. De mettre cet uniforme que je haïrais et d'envier les petites françaises qui s'habillent comme elles veulent. De maudir ces chaussures cirées, de ne pas avir envie de m'attacher les cheveux, de lorgner sur le khôl avec amertume, de vouloir ne pas habiter à Londres. J'ai envie d'être dans une grande école. Une comme celle de West Wickham avec des briques rouges et une cour intérieure. J'ai envie de mettre une heure pour y arriver, de prendre ce bus que j'aurais pris pendant des années et de montrer mon abonnement au chauffeur que je remarquerais même plus. De m'asseoir et de finir ces devoirs que j'avais pas eu envie de faire la veille, de fermer les yeux, de penser à un pays où j'aimerais être. D'oublier que je suis là, que le bus fonce dans les petites rues de mon quartier en faisant crisser les branches des arbres sur les vitres gribouillées, de ne pas rouvrir les yeux et de ne me réveiller qu'au dernier arrêt du bus, devant cette école que je connaîtrais depuis toujours. De descendre en vitesse parce que le bus repart ne s'arrête jamais très longtemps et de manquer d'oublier mes clés sur la banquette. Avec un porte-clé en forme de drapeau français. De marcher vers le portail en regardant tout le reste de cette jeunesse anglaise qui m'indiffèrerait autant qu'elle me fascine présentement. De retrouver mes amis. Anglais. D'être enfin heureuse avec quelqu'un et de n'avoir pas de rancoeur dans chacun de mes mots, de n'avoir pas envie que la cloche et que le jeu se termine. De parler d'émission stupides qu'on aurait regardées et du contrôle qu'on s'apprêtait à rater. De confondre la sonnerie avec notre éclat de rire et de faire attention à ne pas marcher dans les flaques. D'entrer en classe et de presque rire devant le conformisme de tout le monde et l'aspect d'Union Jack qu'on prendrait tous avec nos trois couleurs imposées. De prêter mon taille crayon. De ne pas savoir répondre. D'écrire une petit mot. De demander une règle. De lever le doigt. De rire. D'aller au tableau. De me lever et de sortir jusqu'au prochain cours. De lui demander si elle a compris. De me vexer quand elle me dit que oui, de l'oublier une minute après. D'attendre midi avec impatience. J'ai envie d'être contente d'être en Mai et de m'asseoir avec les autres pour sortir notre repas. Dans l'herbe parce qu'il fait beau. D'échanger mon oeuf dur avec sa salade et de râler parce que personne n'a de sauce. De ne pas savoir ce que c'est d'être seule et de ne pas regarder ceux qui le sont. De ne pas y penser même. De sourire à mes amis et d'oublier qu'on peut ne pas en avoir. D'oublier un instant que je suis une adolescente blasée de mon pays et qui rêvent d'autre villes qui la passionent, de soupirer en pensant qu'on est jamais contents et que je devrais me contenter de ce que j'ai. De revenir à la discussion et de ne pas être d'accord avec ce qu'ils disent. De réviser avec eux pour ce contrôle qu'on va tous rater. J'ai envie d'aller au cinéma avec mes copines après l'école, de rester devant l'école une demie heure parce qu'elle n'a pas prévenu sa mère et qu'elle n'arrive pas à la joindre au travail. De rater le bus et d'en attendre encore un autre. D'avoir peur de manquer le début du film tout en sachant qu'on a le temps. De se prendre bras dessus bras dessous en cherchant ce cinéma où on n'est jamais allées, de rire en voyant passer des choses qui nous font rire. De m'intéresser aux magasins et de planifier un après-midi shopping avec elles pour le week-end suivant.
De râler parce que ces chaussures me font mal au pied et de me faire charrier parce qu'on est enfin arrivées devant le cinéma. De me réjouir parce qu'on est en centre ville et que Londres est superbe. Que les gens commencent enfin à vivre et qu'ils ont tous l'air d'aller quelque part. D'acheter des bonbons en commentant les garçons, de glousser et de ne pas se rendre compte qu'on est stupides. De le regarder ce film. De l'aimer et de sortir toutes les quatre les larmes aux yeux. D'éclater de rire à la lumière du jour quand on se regarde les unes les autres. De proposer d'aller boir un milkshake ou quelque chose d'autre qu'une française n'aurait pas le réflexe de proposer. D'y aller en parlant du film et en se jurant qu'on le reverra. De le boire, ce milkshake, de constater que je n'ai plus beaucoup d'argent et l'oublier en rangeant mon porte monnaie et en riant avec elles.
De commencer à se dire au revoir. De reprendre le bus et de me rendormir dedans, d'avoir pensé à régler le réveil au moment où mon arrêt approche. De me réveiller une heure plus tard près de ma rue, de retour dans mon quartier. Entrer dans cette maison que je ne confonds pas avec les autres parce que c'est la mienne. Voir les lampes allumées et la télé cracher ces mots que je comprends. Monter dans ma chambre et n'avoir pas envie de raconter ma journée à mes parents, avoir deux mails dans mon ordinateur et les lire. Mettre un disque et penser à renouveler mes mp3. M'allonger sur mon lit et commencer mes devoirs à contrecoeur. Me passioner pour l'histoire, arrondir mes lettres et souligner mes titres. Expédier les maths en oubliant la dernière question, me dire que je prétexterai l'incompréhension. Surligner ce que j'ai fait, constater que je n'ai rien pour vendredi et que me dire je ferai le reste en permanence. J'ai envie qu'on m'apelle pour manger et que je descende en trainant des pieds. Que mon frère m'énerve et que mon père me dispute. Qu'ils me disent que je mets la musique trop fort et que ça les dérange. De répondre qu'ils mettent la télé trop fort et de ne pas finir mes pates. De me disputer avec ma mère mais me dire que j'ai mes amis pour ne pas avoir à y penser. N'avoir qu'une seule envie, celle de remonter et de finir d'écouter mon disque. Embrasser ma mère et mon père et leur dire que je les aime quand même. Penser que c'est niais et que j'ai hâte d'être majeure et d'emménager dans le centre ville. De bel et bien finir d'écouter ce disque et de me dire pour la quinzième fois que c'est le meilleur disque de tous les temps. De le remettre à zéro et de prendre la résolution de chanter toutes les chansons. De les chanter toutes. J'ai envie qu'il soit 21 heures et que je me réjouisse d'écouter cette émission à la radio qui me met de tellement bonne humeur. De m'installer devant mon ordinateur et de parler à ces amis que j'aime mais qui ne me manquent pas plus que ça. De rire à cause de la radio. A cause d'eux. A cause de minuit qui vient de passer et de mon réveil qui est réglé sur six heures. A cause de moi qui n'ai pas envie de dormir mais qui vais être assomée quand il viendra l'heure d'être bien réveillée. D'arrêter de rire et de commencer à défaire les couvertures, d'éteindre l'ordinateur et de laisser encore un peu la radio. De continuer ce livre que je dois bientôt rendre à la bibliotèque et que j'adore. D'être quand même fière d'être anglaise et de penser aux autres pays où ce n'est pas la même heure. D'embrasser la photo de Pete Doherty et de remercier je-ne-sais-qui de l'avoir fait naître sous la même nationalité que moi. Penser à Londres illuminé et aux jolies filles qui vont danser. Penser que je sortirai quand j'aurai dix-huit ans et m'endormir sur cette pensée.
J'ai envie de ne pas savoir qu'il y a un lycée franco héllenique. Qu'il y a une ville qui s'apelle Ecully. Qu'il y a des gens qui sont plus heureux que moi. Qu'il y a des gens qui sont moins heureux. Qu'il
y a des gens qui rêvent d'habiter en Angleterre. Qu'il y a des gens qui pleurent. Une personne pour chacune de mes respirations. Qu'il y a beaucoup d'aéroports. Qu'il y a des gens qui divorcent. Qu'il y a ce bus qui fait Pangrati-Aghia Paraskevi chaque jour. Qu'il y a des élèves français qui viendront à Londres le mois prochain. Qu'ils pique-niquerons devant le British Museum. Qu'ils s'arrêteront devant Big Ben et qu'ils croiseront d'autres cars de touristes en se demandant de quelle nationalité ils sont.
J'ai envie de m'être déjà endormie et de sentir le fil d'étain.

2 Comments:

Blogger F. said...

J'aime bien te lire. Il y a quelque chose, je ne sais pas quoi et je suis nulle pour faire les commentaires littéraires. Mais j'aime bien te lire. Et je râle souvent quand je ne vois rien de nouveau. Alors, je relis des bouts.

15 janvier, 2006 09:17  
Blogger Snoowflake said...

Moi aussi j'aime te lire Braguette.
Et puis merci d'avoir commenté ça, c'est un seul commentaire et ça me fait plaisir que ça soit toi.

16 janvier, 2006 17:29  

Enregistrer un commentaire

<< Home