Ces gens là
L'incroyable torture des jobs d'été.
Ca revient tout les ans, à la même
époque, je me réveille en janvier, je me rappelle vaguement que
c'est à ce moment là qu'il faut postuler pour les banques, et puis
je me dis que je serai pas prise parce que je suis en lettres alors
j'essaie même pas, et je me rendors pour 3 mois de plus en me jurant
sur tout ce que j'ai de plus précieux que cette année je ne
travaillerai pas dans un centre de loisirs, oh non monsieur, pas 10
heures de travail par jour pendant six semaines à faire ce que je
sais le moins bien faire au monde c'est à dire faire semblant de
m'adapter aux caractères divers et variés des autres. Parce que
c'est pas du tout les enfants le problème, au contraire, les enfants
sont une joie, un plaisir, et une vraie source de sérénité et
d'amusement. Ni les adultes en fait, si je haïssais tout le monde,
j'aurais déjà prétendu au suicide au cours des vacances scolaires
de ces quatre dernières années. Non, non, c'est tout ces mots
« cohésion d'équipe », « projet pédagogique »
« accompagnement dans le jeu » qui me donnent envie de
prendre mes jambes à mon cou et de supplier Ronald Mc Donald de
m'engager, c'est moi qui le paierai. Pour être honnête, si, c'est
un peu les adultes, on ne va pas se leurrer, je ne suis pas dans mon
élément lorsque je suis avec plus de quatre personnes, de surcroit
si je ne les ai pas choisies.
Alors NON, cet été ce ne sera pas
pour moi. Sûr. Certain.
Et me voilà, le 25 avril, par une chaleur impossible, dans un trou à une heure de trajet de chez moi, à attendre furtivement derrière un buisson que l'heure du rendez-vous soit arrivé (si j'arrive en avance, on se dira « ah non, elle est à la merci des bus, elle nous embêtera toujours avec ses contraintes horaires »), j'essaie encore de me persuader que je vais passer un super été si je suis prise ici, j'essaie encore de me dire qu'au fond, ça a toujours fini par bien se passer, j'essaie encore, en passant devant la cour où tous les enfants s'agitent, de me promettre que non, ce n'est pas un mauvais signe que je sois entrain de prier pour que l'entretien ne m'oblige pas à interagir avec eux, là, tout de suite maintenant, j'essaie de visualiser mon compte en banque, de penser à comme je serais bien, avec des économies, un compte épargne dans lequel je puiserai un jour pour m'acheter une voiture. Plus tard je dirai à mes enfants « ma première voiture, je l'ai achetée avec l'argent de mes jobs d'été ».
A la sortie du centre, la chaleur n'est
pas moins impossible, mon appartement n'est pas à moins d'une heure
d'ici et j'attends le bus une demie heure en posant à mon esprit une
question inédite « est-ce que ça serait capricieux de dire
non ? ». Toutes les réminiscences de séries américaines, de
« yellow pad » aux colonnes pour et contre me servent à
structurer ce dilemme. Est-ce que j'ai besoin d'argent ? Oui, un peu
moins désespérément que les autres années mais quand même.
Est-ce que je pleurniche depuis fin mars pour avoir un job ? Oh que
oui. Est-ce qu'il m'est déjà arriver de me dire « j'accepterais
n'importe quoi, c'est que quelques semaines, le plus important, c'est
de se faire du fric » ? Je suis de moins en moins sûre de
m'être un jour dit ça. Est-ce que je vais supporter de travailler
tous les jours de 7h à 19h, à des tarifs à des années lumières
du SMIC, à être à la merci d'un bus de campagne qui m'assurera
d'être toujours en avance puisqu'il est exclu d'être en retard,
est-ce que je vais aimer présenter les activités de la journée en
étant déguisée en clown tous les jours quand j'ai été habituée
à faire ça «à la cool » en parlant, tout simplement, même
dans les structurer les plus exigeantes ?
J'aimerais dire oui, que rien ne me
fait peur, que je ne fais pas ça pour l'argent, que j'aime les gens,
que j'aime bouger, que je suis une fille dynamique, sportive,
enjouée, qui n'a pas peur des trajets « oh non ça me dérange
pas, j'écoute la musique et ça passe vite », que finir à 23h
le jeudi pour les grosse réunions d'équipe, j'adore, « c'est
un moment d'échange, on décompresse tous ensemble, on partage »
alors que j'ai pour unique envie que de rentrer chez moi.
C'est triste à réaliser, à dire, à
écrire que je suis comme ça, incapable d'envisager l'interaction
avec les autres comme quelque chose de détendu et de facile, c'est
tout le contraire. Paradoxalement je rêve d'être seule, d'éviter
toute situation où j'aurais à m'intégrer dans un groupe, mais le
rêve de savoir vivre en paix avec les autres, d'aimer ça, les
grands rassemblements, d'aimer ça les principes d'équipe, de
réunion, de cohésion, ce rêve là, il revient taper à la porte,
de temps en temps, quand ce malaise me freine à dire oui à un
boulot, quand il me fait réaliser que c'est complètement stupide
d'être une misanthrope qui aimerait aimer les gens. En plus ce n'est
pas que je les aime pas, j'aime mes amis, j'aime rigoler, j'aime tout
ça et je suis même plutôt à l'aise pour parler, mais seulement
quand j'ai une place bien définie.
Bref.
Je parlais du travail d'été. Je dirai
sûrement non. J'espère que j'aurai ma chance ailleurs sinon ça
sera bien fait pour moi.
Et puis de toute façon, si ça se
trouve, je serai même pas prise.
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